samedi 18 février 2006

Droits de l'homme et droit de propriété : l'exemple chypriote grec et la nécessaire intervention de l'Europe

Le combat unilatéral de la justice chypriote pour l’égalité des droits entre citoyens chypriotes sur la question des propriétés se poursuit.

Contrairement à ce qui se passe au nord de Chypre, le droit de propriété des Chypriotes turcs ayant quitté le sud en 1975 à l’appel du dirigeant chypriote turc Raouf Denktash est pleinement reconnu au sud par les autorités de la République de Chypre. Non sans difficultés d’applications lorsque des familles chypriotes grecques chassées du nord en 1974-1975 doivent quitter le bien où elles ont trouvé refuge pour la deuxième fois de leur histoire… Mais la constance avec lequel ce droit est respecté est exemplaire.

Et le silence de la presse internationale sur ce combat non violent et unilatéral pour la dignité et les droits de l’homme est assourdissant.

Tandis qu’au nord, les constructions et ventes illégales de biens spoliés aux réfugiés chypriotes grecs se poursuivent, en février 2006 les autorités locales de la région de Larnaca (sud) ont affirmé prendre les mesures nécessaires pour permettre à la Chypriote turque Halide Ali, 34 ans, venue du nord de Chypre, de reprendre possession du bien laissé à Larnaca par sa famille en 1975 dans le sud de Chypre. Une famille chypriote grecque expulsée du nord y avait trouvé refuge. En 2004 le Tribunal régional avait jugé que son bien devait lui être restitué sous 30 jours. Une somme de 15.000 livres chypriotes a également été réunie pour lui permettre de procéder à diverses réparations sur ce bien.

Cette affaire confirme que malgré certaines difficultés d’application, les décisions de la justice chypriote concernant la libre dispositions des biens des Chypriotes turcs au sud sont établies sur une jurisprudence constante : libre disposition totale, reconnaissance totale des titres de propriété sur les biens qui, lorsqu’ils ont été abandonnés en 1975, sont gérés par un organisme spécial en attendant le retour de leurs propriétaires.

Le 13 février 2006, dans l’affaire Arif Mustafa dont nous avions déjà parlé, le gouvernement chypriote avait pris les mesures nécessaires pour reloger la famille de réfugiés chypriotes grecs venus du nord qui vivait dans le bien d’un Chypriote turc abandonné en 1975, mettant un terme définitif à l’affaire. M. Mustafa pourra revenir vivre à Episkopi. La preuve qu’avec une culture des droits de l’homme et de la démocratie, ce que les Cassandre qualifient « d’impossible après 30 ans » est tout à fait possible !

Cependant, à Chypre, un malaise est en train de s’installer parmi les Chypriotes grecs qui ne comprennent pas ce « deux poids deux mesures » : les Chypriotes grecs sont accusés par une partie de la communauté internationale de nationalisme, alors qu’ils mènent une politique d’égalité des droits avec les Chypriotes turcs de la zone contrôlée par le gouvernement chypriote et que leur justice ne cesse de réaffirmer les droits des Chypriotes turcs. A l’inverse, les Chypriotes grecs spoliés ne peuvent récupérer la libre disposition de leurs biens au nord de Chypre et pourtant, des pays comme la Grande-Bretagne soutiennent ouvertement Ankara et les leaders Chypriotes turcs qui subordonnent une reconnaissance très partielle des droits des Chypriotes grecs à un chantage politique.

Il est temps que l’union européenne réagisse en imposant la restitution forcée de leurs biens à toutes les personnes déplacées, sans distinction d’origine ethnique et sans attendre la résolution de la question constitutionnelle et du départ des troupes turque. Il n’est pas admissible que les mesures unilatérales prise en ce sens par la République de Chypre, au sud, ne soient pas encouragées et applaudies par la communauté internationale, alors qu’elles pourraient être financées par une aide aux personnes à reloger.

Sur le plan de la gestion des biens abandonnés des Chypriotes turcs, comme sur l’entretien des mosquées et du patrimoine culturel chypriote turc, la République de Chypre montre seule le chemin.

Mais pour combien de temps les citoyens Chypriotes grecs pourront-ils accepter cet unilatéralisme ?

En février 2005, la commission européenne avait demandé au leader chypriote turc Mehmet Ali Talat de faire cesser l’arrivée massive de colons de Turquie à Chypre et de faire cesser les constructions massives d’immeubles sur les terres des Chypriotes grecs spoliés. Et s’était vue répondre par une fin de non recevoir.

Dans l’affaire XENIDES-ARESTIS contre Turquie, le 22 décembre 2005, la Cour européenne demandait à la Turquie de créer un recours pour les milliers de Chypriotes grecs susceptibles d’engager un recours pour la privation de leurs biens.

Fausse bonne nouvelle et nouvelle stratégie côté turc : comme la Turquie ne se reconnaît pas responsable, Ankara et les leaders chypriotes turcs ont imaginé de créer au nord de Chypre, une commission spéciale chargée d’entendre les demandes des Chypriotes grecs dont le principe a été présenté par un projet de loi en décembre 2005. Le but est clairement de contourner la jurisprudence de la Cour européenne des droits de l’homme sur les propriétés des Chypriotes grecs au nord.

Première supercherie : la « République turque de Chypre du nord », entité séparatiste fondée sur l’épuration ethnique, n’est pas reconnue par la communauté internationale et ses « lois » n’ont pas d’existence légale, pas plus que les autorités ou commissions qu’elle peut créer.

Créer une commission qui n’aura pas d’existence légale et déplacer le problème sur le plan de la reconnaissance des autorités de la République séparatiste du nord de Chypre… Voilà qui ressemble à un simple effet d’annonce.

La commission créée par cette « loi » n’a pas encore été formée.

Mais déjà dans un communiqué du 22 décembre 2005 paru sur le site de sa « Présidence », Mehmet Ali Talat justifiait ce projet en indiquant que ce pas était nécessaire car les recours des Chypriotes grecs devant la cour européenne des droits de l’homme remettraient en cause, à terme, la « bizonalité » (comprenez que si les Chypriotes grecs reprenaient possession de leurs biens, la séparation de Chypre en deux zones ethniquement pures serait remise en cause : pour les leaders chypriotes Turcs « bizonalité » est à entendre au sens de la pureté ethnique et signifie que la présence chypriote grecque au nord doit être réduite à la portion congrue). Le but est de créer un « recours interne » pour éviter que les Chypriote grec n’aient juridiqument le droit de saisir directement la Cour européenne des droits de l’homme.

Dans l’esprit des leaders chypriotes turcs, cette « loi » a donc clairement pour objet d’éviter que les 80% du territoire du nord, qui appartient aux familles chypriotes grecques, ne retourne à ses propriétaires.

Ceci illustre le double discours tenu au nord de Chypre : un discours à la communauté internationale pour lu faire croire à une évolution sur le plan des droits de l’homme ; et un discours à usage interne où on confirme que le but n’est que d’éviter la libre disposition massive des ces biens.

Les effets de cette loi qui n’est pas encore entrée en vigueur et qui pourrait être soumise à « referendum » sont pour l’instant difficiles à préciser ; cependant, la « loi » n’est pas une remise en cause de l’épuration ethnique puisque :

- elle forcerait les Chypriotes grecs à recourir à une autorité séparatiste illégale, et donc à reconnaître cette autorité qui depuis 30 ans organise la spoliation de leurs biens ; les Turcs ne risquent donc rien puisque peu de Chypriotes grecs, par conscience civique, auront recours à ces « autorités » dont les actes n’ont aucune valeur légale en zone sous contrôle de la République de Chypre;

- elle ne remet pas en cause la redistribution forcée des terres des chypriotes grecs puisqu’elle ne revient pas sur les « titres de propriété » créés de toutes pièces pour les colons après 1974-1975 en même temps que la spoliation des biens chypriotes grecs (rappelons qu’à l’inverse, au sud de Chypre, les titres de propriété chypriotes turcs a sud sont globalement reconnus) ;

- cyniquement elle exclut expressément les familles des propriétaires, qui sont plus nombreuses que les propriétaires en titre dont beaucoup sont décédés (d’autres décèderont avant que la commission ne commence à siéger) ; seuls sont concernés ceux qui prouveraient qu’ils ont été forcés de quitter leur propriété avant février 1975 : une astuce juridique puisque la plupart des Chypriotes grecs ont quitté leur village par familles entières en fuyant les atrocités de l’armée turque en 1974, croyant fuir pour quelques semaines et ont été empêchés d’en reprendre possession après ; aucune limite de ce type n’est imposée aux Chypriotes turcs au sud pour la reprise de leurs biens ;

On évalue à 4% les terres qui seraient restituées... A comparer aux plus de 80% de terres appartenant aux Chypriotes grecs spoliés.

Sur un site internet intitulé « North Cyprus Property and Buying Guides » on peut lire :

«

At its most basic level the new property law has simply been created to bring TRNC policies in line with international policies; however because of the political situation in Cyprus it is actually highly likely that Greek Cypriots will fail to recognize or accept the law and that this will render it relatively ineffective.

The law effectively allows those Greek Cypriot home and land owners who were forced to flee their properties prior to February 1975 to claim reinstatement of their home or exchange for their immovable property or compensation for the loss of other property left behind if they so choose.

The new North Cyprus property law does not apply to descendants of former property owners; it only applies to those owners still alive today who physically hold original title deeds in their name and who have not already received compensation for forsaken property.

The new TRNC property law does not automatically give former property owners the right to reinstatement of their immovable property nor does it automatically give them the right to compensation. It simply allows for the hearing of property dispute cases brought by Greek Cypriots by a yet to be formed ‘Committee on Immovable Properties’ in the TRNC.”

Sans commentaire...


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