mercredi 7 septembre 2011

"Actuchypre" revient.


Depuis un an et demi le blog "actuchypre" n'était plus alimenté.

Au cours de cette très longue pause, nous avons pris un peu de recul.

Nous avons décidé d'insister sur le côté "revue de presse", que nous n'alimenterons qu'en cas d'évolution significative, dans le souci de toujours percevoir la forêt, plutôt que le doigt.

Mais d'abord, un long message pour répondre à la question qui s'impose : que dire de la situation à Chypre depuis notre dernière note sur ce blog?











Chacun a pu observer la politique des concessions sans contrepartie du gouvernement chypriote de Dimitris Christophias, qui n'a fait qu'encourager l'inflexibilité du négociateur turc.

Ce n'est pas vraiment nouveau, puisque c'était en réalité la politique permanente des gouvernements chypriotes, jusqu'à la parenthèse du rejet, par les électeurs chypriotes, du calamiteux plan Annan (que si peu de gens ont lu ou compris en Europe, nous ne le dirons jamais assez).












Ce qui est nouveau c'est que sur le plan politique, la Turquie a définitivement, semble-t-il, renoué avec son passé : les forces de la tradition et de la bourgeoisie de province ont confirmé qu'elles avaient pris le pouvoir au détriment des kémalistes, et que quelque chose avait vraiment changé en Turquie.

Les arrestations de nombreux généraux impliqués dans le plan de coup d'Etat contre le premier ministre Erdogan se sont multipliées. La constitution a été modifiée. Nous ne détaillerons pas ces points ici; avec Internet, chacun pourra les retrouver et la Turquie n'est pas le sujet principal de ce blog.

Mais force est de constater que la vraie Turquie, finalement, a renoué avec ses penchants naturels : le rapprochement avec les autres pays musulmans s'est confirmé. Conduisant à une brouille avec Israël.

La Turquie veut voguer vers son propre destin de super-puissance régionale, lorgnant à la fois vers le monde arabo-musulman, et vers l'Asie centrale. Il suffit de lire l'ouvrage du ministre turc des affaires étrangères, Davutoglu, pour comprendre que la Turquie veut renouer avec l'ambition ottomane et que les peuples voisins, ne seront pas autre chose que des puissances satellites s'ils ne prennent pas garde à créer plus d'équilibre dans la région.

Après tout, les hommes politiques turcs n'ont fait que leur travail : ils ont tout fait pour promouvoir l'intérêt de leur nation, alors que les élites de la Grèce et de Chypre, se sont laissées bercer d'illusions, croyant qu'elles pouvaient parvenir à un état de prospérité et de sécurité permanente uniquement grâce à leur appartenance à l'union européenne, rêvant de devenir des "sociétés multiculturelles" et autres obsessions que l'on a vu apparaître dans leur bouche comme s'il s'agissait d'une priorité.

Les élites grecques ont oublié que la politique n'était faite que de rapports de force, et que celui qui par fatalisme ou illusion renonce à combattre ou à défendre les intérêts de son peuple, est tout simplement ignoré ou écrasé. C'est d'autant plus vrai en Méditerranée orientale. La Grèce et Chypre ne se trouveront jamais au Benelux ni dans les Alpes...
















En contrepartie, on a vu Chypre et la Grèce se rapprocher davantage d'Israël (ou plutôt, Israël se rapprocher de la Grèce et de Chypre, palliant l'absence de vision des leaders grecs).

Plusieurs courants, en Israël et en Turquie, veulent renouer avec la vieille alliance israélo-turque. Mais les Israéliens ont compris qu'il existait au moins deux Turquie, de sorte que cette seule alliance n'était pas une garantie et qu'ils ne perdaient rien à diversifier leurs alliances (1).


Aux Grecs de le comprendre : Israël, au-delà de ses intérêts, combat pour sa survie même et agit en conséquence; Israël ne prendra au sérieux la Grèce que si les dirigeants grecs agissent de même.

La Grèce, Chypre et Israël, peuvent constituer un axe fort en Méditerranée orientale s'ils parviennent à surmonter la myopie géo-stratégique et les préjugiés forgés pas les siècles qui les avaient conduits à s'ignorer mutuellement. (2)

Indépendamment du problème turc ou de l'incertitude créée par les printemps arabes, cet axe pourra être une source d'équilibre pour la région, sur tous les plans, et une grande chance pour que l'union européenne se réveille de sa torpeur ou de son rôle de simple mécène, et jouer un rôle central au Proche-Orient.


Sur le plan économique, chacun peut observer la montée en puissance de la Turquie, 13ème économie mondiale; son industrie, grâce aux bas salaires et à la volonté de ses politiques, fournit de l'électroménager et des voitures bon marché pour les grandes marques européennes. Coopératives d'Etat, sociétés privées, sociétés du secteur civil contrôlées par le secteur militaire, aidées par les transferts de technologie et les délocalisations des entreprises occidentales ou les contrats de sous-traitance, toutes se développent et exportent.

La montée en puissance de l'industrie de défense turque se confirme : grâce au fonds de développement de l'industrie de la défense turque, qui dispose d'un budget séparé de celui de l'Etat (et perçoit même un pourcentage des spiritueux achetés par les touristes), la Turquie est devenue un grand exportateur d'armes et vise l'autarcie dans de nombreux domaines.

Jusqu'à présent les Chypriotes grecs considéraient, sans doute à tort que leur prospérité (d'ailleurs mise à mal par la crise) était un atout dans les négociations; aujourd'hui cet argument apparaît très secondaire; outre l'économie mafieuse de la partie occupée, la présence turque à Chypre peut compter sur la nouvelle puissance financière turque.

Quant à la Grèce, seule puissance à ne jamais contester la politique des gouvernements chypriotes successifs, sa faillite, les délocalisations vers la Bulgarie et la Roumanie, bref la ruine de son état et de son appareil productif, n'aideront pas; certes il y a la fraude que l'on présente comme la cause de tous les maux, mais la fraude n'empêchait pas la Grèce de promouvoir une politique industrielle d'exportation, ce qu'elle n'a presque jamais fait; la fraude existe aussi par exemple en Italie, mais Rome pourra toujours compter sur sa puissance industrielle pour sauver ce qui peut l'être; là encore les élites grecques ont fait les mauvais choix, organisant les jeux olympiques sans en avoir les moyens, entrant dans l'euro sans se poser la question du développement de leur industrie, basant tout sur les services, sur du vent... La crise économique et sociale aggrave la crise démographique : les jeunes Grecs fuient le pays à la recherche de travail à un rythme accéléré. Cette situation peut cependant donner aux Grecs la force du désespoir.


notes
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1- Le virage turc n'est peut-être pas si étonnant : si l'on prend en compte la façon dont le monde arabo-musulman, vaste et diversifié, se rapproche de la Turquie et le rêve de celle-ci d'en devenir le leader et le ciment, la Turquie a peut-être moins besoin d'Israël; en tout cas, la Turquie a beaucoup moins besoin d'Israël qu'Israël n'a besoin d'alliés dans la région... Du point de vue industriel la Turquie est surtout gênée par les commandes en cours qu'elle a pu faire auprès d'Israel, par exemple, pour les drones Heron. Mais une fois le problème des commandes en cours réglé, la Turquie pourra se tourner vers de nouveaux partenaires : elle a même déjà commencé à diversifier ses partenariats dans le domaine de l'industrie militaire, avec la Corée du Sud notamment (développement du char Altay, et de l'automoteur Firtina).
Dans une alliance, Chypre mais aussi, en partie, la Grèce (pour ses îles) jouent la carte de leur survie ou de la protection de leur intégrité territoriale, comme Israël; pas la Turquie.


2- Pour ne prendre que deux exemples : d'un point de vue économique, les zones économiques exclusives de la Grèce, de Chypre et d'israël peuvent aller de l'Italie jusqu'au voisinage du canal de Suez sans discontinuité; d'un point de vue militaire, l'espace aérien grec et certaines îles comme la Crète, outre Chypre, peuvent présenter un grand intérêt, offrant de nouvelles bases à l'aviation israélienne, lui permettant une allonge stratégique potentielle jusqu'au Maghreb sans aucune difficulté (comme l'ont fait les forces de l'OTAN en Libye en 2011) outre la possibilité de s'entraîner dans un vaste espace aérien, avec des pilotes grecs reconnus pour leurs compétences. Israël est un Etat aux aguets contraint de parer à toute éventualité sur la longue durée dans un monde en changements. Quant à la situation de Chypre, elle est si fragile qu'Israël peut vite lui devenir indispensable, permettant aux Israéliens de lui demander des contreparties sans limites. De leur côté, Chypre et la Grèce pourraient profiter du savoir-faire israélien en matière militaire et technologique, et apprendre d'Israël en terme d'organisation - organisation de leur réserve ou de leur diaspora notamment.

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