samedi 18 février 2006

Les 10 "propositions" turques... Avancée ou marché de dupes?

En janvier 2006 le ministre des affaires étrangères turc Abdulay Gül a présenté « 10 propositions » pour Chypre visant pour l’essentiel à ouvrir les aéroports et ports du nord de Chypre au trafic international.

Ces propositions ont été commentées en février 2006 par le vice secrétaire d’état aux affaires étrangères américain Mat Braiza comme un pas en avant malgré le fait qu’elles n’annoncent aucune avancée dans la levée des discriminations des chypriotes grecs au nord de Chypre.

Qu’en est-il réellement ?

Il faut d’abord souligner que la communauté internationale ne salue jamais les pas concrets et unilatéraux déjà franchis au sud par la République de Chypre pour avancer vers la paix) Chypre, parmi lesquels on peut citer :

- les mesures concrètes déjà en vigueur au sud de Chypre en vue de garantir l’égalité de droit entre les citoyens chypriotes sans distinction ethnique, notamment en terme de droit de propriété (gestion de leurs biens par un organisme reconnaissant leur droit de propriété, libre disposition de leurs biens aux Chypriotes turcs ayant quitté le sud en 1975 avec contrôle juridictionnel en cas de difficulté), d’octroi automatique de la citoyenneté chypriote et accès aux soins et au système de retraites de la fonction publique aux Chypriotes turcs vivant au nord,

- le fait que Chypre n’ait pas mis son veto aux négociations de l’entrée de la Turquie dans l’union européenne,

- ou la proposition du Président chypriote, en août 2004, de proposer que la ville côtière de Famagouste, située en bordure de la ligne de démarcation et en grande partie dépeuplée et vide soit restituée à ses habitants (proposition rejetée par les Turcs qui souhaitent la conserver comme monnaie d’échange).

Par manque d’appuis politiques ou par un déficit de communication, ces efforts unilatéraux sont purement et simplement, et ignorés alors qu’ils sont le signe d’un traitement sain de la question chypriote, basé sur le respect des droits de l’homme des citoyens chypriotes

En comparaison les propositions d’Ankara ne visent qu’à atteindre tous les objectifs stratégiques de la Turquie à Chypre en renforçant la politique de séparatisme ethnique, sans faire aucune concession sur le terrain de la violation des droits de l’homme des Chypriotes grecs et des discriminations faites aux Chypriotes grecs au nord de Chypre. Elles vont dans le sens de la politique turque à Chypre depuis 50 ans : créer une région chypriote turque ethniquement modifiée, oscillant entre le séparatisme pur et simple, et un modèle confédéral dans une Chypre transformée en quasi-protectorat (qu’avait repris le plan ANNAN).

Selon le quotidien turc HURRIYET du 26 janvier 2006 le premier ministre turc Recep Tayyip Erdogan a indiqué que ces propositions "ouvraient la voie à la République turque du nord de Chypre.”. Or la presse chypriote lit aussi la presse turque…

Jack STRAW, le ministre britannique des affaires étrangères, allié d’Ankara et soucieux de pérenniser les bases militaires britanniques à Chypre, a donné un accueil favorable à ces propositions lors de sa visite en Turquie et au leader de l’entité séparatiste du nord de Chypre en janvier 2006.

En effet que manque-t-il à la Turquie et à l’entité séparatiste du nord de Chypre : la reconnaissance internationale de la « République turque du nord de chypre » et la légalisation de la spoliation des familles chypriotes grecques propriétaires de plus de 80% des terres du nord de Chypre. Si la Turquie atteint ces deux objectifs, sa victoire à Chypre est totale et les Chypriotes grecs perdent tout.

En réalité les propositions turques visent à atteindre le premier de ces objectifs : obtenir une reconnaissance de fait des frontières portuaires et aéroportuaires de la république autoproclamée du nord de Chypre et ainsi obtenir une forme de reconnaissance internationale des autorités autoproclamées de la partie septentrionale de Chypre par l’introduction de ses ports et aéroports et donc de ses autorités dans les règles du trafic international.

Ces propositions visent aussi à renforcer l’économie touristique du nord par l’afflux de voyageurs, et donc enraciner l’exploitation illégale des biens des hôteliers et propriétaires chypriotes grecs spoliés du nord de Chypre.

En échange de quoi ?

De la fin de la spoliation des biens des Chypriotes grecs au nord de Chypre, du retrait de l’armée et d'une partie des colons turcs ?

Point. Ce qu’Ankara offre généreusement c’est l’ouverture des ports et aéroports de la Turquie aux navires et aéroports de la République de Chypre. Dérisoire : l'une des parties verrait sa conquête militaire et l’épuration ethnique couronné d'un succès définitif, l’autre n’obtiendrait que la possibilité de procéder à des échanges commerciaux avec le pays qui occupe militairement 40% de son territoire…

On voit la finesse de la stratégie turque : ces propositions seront forcément rejetées par la partie chypriote grecque que la Turquie, ses partisans et les observateurs pressés accuseront de refuser d’aller vers la paix…

Le comble, c'est que ces mesures fassent tant de bruit alors que celles que la République de Chypre applique unilatéralement au sud de Chypre, depuis des décennies et que la Turquie devrait prendre en exemple, sont passées sous silence : gestion des biens des chypriotes turcs ayant quitté le sud de chypre par un organisme spécial reconnaissant leur droit de propriété et le leur restituant (avec contrôle juridictionnel en cas de difficulté), égalité juridique totale entre les citoyens chypriotes turcs et les citoyens chypriotes grecs, etc.

Voici les « propositions » turques qui pour la plupart sont des revendications pures et simples (les commentaires entre parenthèses ou entre crochets sont de l’auteur) :

- ouverture des ports de la Turquie aux navire « chypriotes grecs » (à noter que ce terme n’a aucun sens puisqu’il n’existe pas de pavillon chypriote grec, mais uniquement un pavillon chypriote) dans le cadre de l’accord d’union douanière Turquie – Union européenne ;

- possibilité pour les avions de transport chypriotes d’utiliser l’espace aérien turc et d’atterrir sur les aéroports turcs, ouverture au trafic international des biens personnes et de Famagouste, Kérynia et Karavostassi au nord de chypre, (appelés par les Turcs, Gazimagosa, Girne et Gemikonak) « sous gestion chypriote turque » [alors que la seule entité légalement habilitée est la République de Chypre, que la Turquie empêche militairement de contrôler le nord de son territoire],

- ouverture aux vols directs sous contrôle chypriote turc de l’aéroport de Tymbou (appelé Ercan selon la dénomination turque issue de la commission de deshellénisation des toponymes du nord de chypre) au nord de Chypre [même remarque que pour les ports],

- mesures spéciales pour l’inclusion pratique du nord de Chypre en tant qu’entité économique dans l’union douanière européenne avec commerce direct entre les deux parties de l’île et avec le monde extérieur [« commerce direct » signifie pour la Turquie commerce direct de la partie nord vers l’étranger sans passer pas les autorités douanières de la République de Chypre], participation « de la partie chypriote turque » aux activités sportives culturelles et sociales internationales [alors que les chypriotes turcs peuvent déjà y participer en tant que citoyens de la République de Chypre, cette mesure vise une reconnaissance de la « partie chypriote turque » avec une participation à travers elle].

Les propositions turques visent également à organiser un sommet à quatre sur Chypre sous l’égide de l’ONU pour appliquer ces propositions : or l’ouverture des ports et aéroports de la Turquie aux aéronefs et navires chypriotes concerne les relations entre la Turquie et l’union européenne et font partie des obligations légales de la Turquie. Il ne s’agit pas d’un point à négocier mais d’une obligation. La Turquie souhaite déplacer la question sur le terrain de l’ONU qui, lui est plus favorable malgré les résolutions du conseil de sécurité demandant son départ (et jamais appliquées) en raisons des pressions américaines qui peuvent s’y exercer dans le sens d’Ankara, comme l’a montré le plan soumis par l’ONU à Chypre, largement étranger à une Chypre vraiment indépendante et où seraient respectés les droits de l’homme de tous ses citoyens y compris sur la question des propriétés.


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