Mars 2007 : le gouvernement de la République de Chypre fait abattre le mur de la rue Lidras, à Nicosie, capitale de Chypre.
La presse européenne titre alors sur la chute du « dernier mur d’Europe.» Une charge symbolique forte, mais dans la réalité, un non événement. Le véritable mur ne se trouve pas là. Pas plus que le véritable espoir. Pourquoi ?
D’abord parce que le libre passage entre les deux parties de la rue Lidras, dépendait encore, après la destruction du mur, du bon vouloir des troupes turques qui n’ont pas permis la réouverture de la rue à la circulation et aux piétons. Et en tout état de cause, cela n'aurait été que le sixième point de passage ouvert depuis 2003 entre la partie (sud) de l'île contrôlée par le gouvernement et la partie (nord) contrôlée par les séparatistes chypriotes turcs et l’armée turque. Rappelons au passage que la rue Lidras est divisée non pas depuis 1974, contrairement à ce qu'indiquent les dépêches, mais depuis 1956, lorsque les séparatistes Chypriotes turcs partisans du "Taksim", la "partition" (1), prirent le contrôle du quartier turc de Nicosie, sans réaction de la part des autorités coloniales britanniques qui contrôlaient l'île.
Ensuite parce que, si la presse se nourrit de symboles, en l’occurrence le symbole est trompeur : les leaders séparatistes chypriotes turcs et la Turquie refusent toujours de reconnaître la République de Chypre, malgré le fait que les Chypriotes turcs en sont citoyens au même titre que les Chypriotes grecs; et les Chypriotes grecs spoliés, propriétaires de plus de 80% des terres du nord de Chypre, ne peuvent toujours pas reprendre possession de leur terre et en jouir librement.
Bref, la logique de l’épuration ethnique et du séparatisme turc demeurent.
Le véritable mur.
Car à Chypre, le véritable mur est formé par les 300 chars et les 40.000 hommes de l’armée turque qui stationnent dans le nord de l’île. Un mur de 40.000 bouches à feu, cimenté par le séparatisme ethnique et la volonté d’empêcher les personnes spoliées par l’épuration ethnique de reprendre possession de leur terre. Tant qu’elles en seront empêchées, le mur continuera d’exister.
Le véritable espoir.
Pour les Chypriotes le véritable symbole, le véritable espoir, c'était l’entrée de Chypre dans l’Union européenne : les Chypriotes pensaient alors, que les leaders séparatistes chypriotes turcs seraient contraints par leur propre population à refuser la logique que la partition ethnique pour bénéficier des faveurs de l’intégration européenne. Des dizaines de milliers de Chypriotes turcs vivant au nord de Chypre ou dans le reste du monde ont d’ailleurs sollicité et obtenu des passeports de la République de Chypre, malgré les appels de leurs leaders à ne pas le faire et à continuer à utiliser en lieu et place les passeports turcs fournis par la Turquie ; ils ont ainsi rappelé au monde – et à la presse occidentale qui a toujours tendance à l’oublier et qui d’ailleurs n’en a pas fait grand cas – que la République de Chypre, n’est pas « la république des Chypriotes grecs », mais la République de tous les citoyens chypriotes, qu’elle reconnaît pleinement en tant que tels.
Un tel élan aurait pu porter un coup terrible aux ambitions séparatistes des leaders chypriotes turcs soutenus par la Turquie, mais ce mouvement a été avorté dans l’œuf, d'abord par le plan du secrétaire général de l’ONU Kofi ANNAN proposé au référendum de 2004, juste avant l’accession de Chypre à l’Union. Un plan qui a connu l'échec lamentable que l'on sait, mais qui a renforcé les espoirs des leaders séparatistes de parvenir, au minimum, à une quasi-indépendance internationalement reconnue sans remettre en cause l’épuration ethnique ; en effet le plan ANNAN se contentait, mis à parts quelques aménagements territoriaux, de transformer les « autorités » séparatistes du nord de Chypre en état confédéré, où n’auraient été remises en cause ni la logique de séparation ethnique, ni l’essentiel des spoliations des terres des Chypriotes grecs. L’on se reportera, pour ne citer qu’un exemple, au projet d’acte d’accession de Chypre à l’Union européenne prévu par le plan de Kofi ANNAN, qui garantissait la possibilité pour un état confédéré d’instaurer des quotas permanents de résidence basés sur l’origine ethnique (pour en lire un extrait : pour en litre l'extrait, cliquer ici). La suite on la connaît : plutôt que de juger le plan scandaleux, la presse européenne lynchera les Chypriotes grecs, et ce sans aucune analyse juridique du plan de Kofi ANNAN, jugé infaillible... Alors que l'erreur du Président Papadopoulos fut, non pas de rejeter le plan, mais d'accepter qu'il soit proposé à référendum.
L’Union européenne, dans tout cela, est presque absente.
Songeons que les appels à l’aide du gouvernement chypriote à la présidence (alors hollandaise) de l’Union, au sujet de la restitution de la ville fantôme de Famagouste à ses habitants, sont tombés dans le vide. Ville déserte aux allures de décor de cinéma, vidée de ses habitants en 1974, et présentant l’avantage, sur une grande partie de son territoire, de ne pas avoir été repeuplée par les colons venus de Turquie, contrairement aux autres villes du nord : des quartiers vides, qui pourraient être restituée à leurs habitants du jour au lendemain, si l’Europe se préoccupait moins du calibre des concombres chypriotes jugés impropres à l’exportation que de redonner un sens aux mots de solidarité européenne et d’identité européenne. Non, l'Europe n'est toujours pas capable de permettre le retour de quelques milliers de ses citoyens dans une ville vide...
L’Europe, en lieu et place, préfère abreuver d’aides au développement les Chypriotes turcs, et faire peser les pressions et leçons de morale sur les Chypriotes grecs (ces "égoistes" pour reprendre le mot de Cohn-Bendit), sans exiger au préalable la fin du régime séparatiste et la reconnaissance de la République de Chypre par les leaders chypriotes turcs. Or il s’agit d’une question essentielle dont les séparatistes chypriotes turcs et la Turquie ne cessent de jouer : groupes folkloriques, création d’une « commission » sur les propriétés, invitation de Mehmet Ali Talat, présenté comme le « président de la République Turque du nord de Chypre » au Grand Prix F1 de Turquie 2006... Tous les moyens sont bons pour œuvrer pour la reconnaissance de la république séparatiste, et pour faire oublier qu'elle est érigée sur l'épuration ethnique.
L’Union européenne se devait donc d’être ferme sur cette question. Son intérêt ne se porte que sur l'ouverture des ports et aéroports de la Turquie aux navires de la République de Chypre. L'Union ne jure toujours que par l'économie.
Autant dire qu’à Chypre Ubu est roi : les Chypriotes turcs bénéficient ainsi des avantages de leur citoyenneté chypriote – passeports européens de la République de Chypre, aides médicales de la République de Chypre, retraites pour les anciens fonctionnaires, protection de la justice chypriote concernant leurs biens au sud, travail dans les entreprises chypriotes du sud, subventions européennes etc. – mais dans le même temps, leurs leaders persistent à refuser de reconnaître la République de Chypre membre de l’Union européenne dont ils acceptent les aides, à mettre fin aux spoliations forcées, et à en finir avec la logique de partition ethnique.
Il serait encore temps, mais la prise de conscience ne semble pas à l'ordre du jour.
En s'investissant si peu à Chypre, l'Union européenne ne trahit pas que l'espoir des Chypriotes, elle se trahit elle-même.
(1) le taksim, la "partition", est la politique de déplacement forcé des populations, d'épuration ethnique et de partition ethnique.
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