mercredi 28 septembre 2011

Hausse des tensions dans le ciel de la mer Egée et dans la zone économique exclusive de Chypre




Dans le ciel de la mer Egée


Le 28 septembre 2011 dans le centre et le nord de la mer Egée, l'aviation turque a tenté d'intercepter des appareils de l'armée de l'air grecque pour les empêcher de participer à l'exercice « poitrail d'acier » organisé par l'armée grecque (dépêche du groupe de presse grec Defencenet Media 28-09-2011 19:04:39, diffusée sur le site http://www.defencenet.gr/).

Douze appareils turcs dont huit armés ont décollé de la base de Balikesir et ont tenté d'aligner dans leurs viseurs les appareils grecs à portée de leurs missiles AIM-120 et les obliger ainsi à se détourner de leur route.

Les pilotes grecs ont pu se dégager et se retrouver derrière les appareils turcs, puis ont décroché à cours de carburant. Les appareils grecs sont des F-16 des escadrons 341 M et 330 M et un mirage 2000-5 de l'escadron 331 M.

Dans le passé ce type d'incidents a déjà conduit à la mort de pilotes des deux camps (dans le silence total de la presse européenne, même spécialisée).

Ce type d'engagements, est très courant entre les deux armées de l'air depuis les années 1980 mais était en diminution depuis quelques mois. Habituellement les pilotes tentent de « s'abattre virtuellement » sans jamais tirer leurs missiles (les deux pays sont encore membres de l'OTAN...), mais au risque de se crasher en mer au cours de ces « dog fights » où chacun tente de se retrouver derrière l'appareil adverse.

Les Turcs contestent l'espace maritime et aérien grec au large des îles grecques et ont toujours maintenu une certaine pression dans les airs, ces combats virtuels tournant cependant souvent à l'avantage des Grecs.

La nouveauté est que cette fois-ci le but des appareils turcs n'était pas seulement de manifester leur présence dans l'espace aérien grec, mais d'empêcher un exercice et de perturber le plan de vol des appareils grecs qu'ils connaissaient manifestement à l'avance. Autre nouveauté, les Turcs ont préféré engager à longue distance avec le système de missiles AIM-120 pour tenter d'éviter le combat rapproché.

Cet incident intervient au moment où les Turcs essaient, en vain, d'empêcher le gouvernement chypriote de continuer ses recherches de gaz dans le Sud-est de la zone économique exclusive chypriote. Et au moment où ils mandatent la navire italien R/V Urania pour effectuer des recherches en Mer Egée, non loin de l'île grecque de Samothrace et de l'îlot grec de Zourafa (également appelé Ladoksera) où l'on soupçonne la présence de pétrole (même source dépêche du 28-09-2011 à 01:37:33 ).


A Chypre


Le navire de recherches turc Piri Reis avait atteint, le 27/09/2011, le champ de gaz n°12 situé au sud-est de Chypre accompagné d'une frégate et d'une corvette de la marine de guerre turque, tandis que 6 avions de chasse turc F-16 ont volé à 50 miles à l'Ouest de la ville chypriote de Paphos avec plusieurs hélicoptères, et plus à l'est avec deux chasseurs et quatre hélicoptères au large du Cap Greco (source journal chypriote modéré Phileleftheros - édition internet 27/09/2011- et groupe de presse grec Defencenet Media- (dépêches du 27/09/2011 à 16h43).


Selon les mêmes sources, se trouveraient dans la région, pour surveiller les mouvements turcs, des navires Israéliens, et, à la limite entre la zone économique exclusive (ZEE) chypriote et la ZEE israélienne, un avion radar israélien G550 Nahshon-Eitam ainsi que 10 hélicoptères et 2 chasseurs (les Israéliens étant du côté des chypriotes dans cette affaire), des navires et aéronefs américains et britanniques, ainsi qu'un sous-marin russe selon certaines sources. Des avions de patrouille maritime américains P-3 Orion patrouillent autour des recherches de la société américaine Noble Energy (seule habilitée par le gouvernement chypriote à effectuer les recherches), environ 3 à 5 heures par jour.

Le Piri Reis est ancien et n'a pas les moyens d'effectuer de véritables recherches contrairement aux navires norvégiens que la Turquie a dépêchés plus au nord (voir notre précédent article). Il constitue pour la Turquie un moyen d'occuper le terrain.

Le vrai défi pour Chypre et pour l'Europe viendra lorsque la Turquie commencera à exploiter illégalement le gaz ou le pétrole chypriote, si elle le fait ce que rien ne permet d'exclure compte tenu de la montée en puissance turque.


MISE A JOUR DU 30/09/2011 - Position d'Israël :

Selon la presse israélienne, deux appareils F-15 israéliens ont survolé le Piri Reis ce qui a entraîné l'apparition de l'armée de l'air turque. (Jerusalem Post, Israeli jets fly over Turkish gas exploration ship by JPOST.COM STAFF 09/30/2011 http://www.jpost.com/Headlines/Article.aspx?id=240023) (à propos des relations gréco-israéliennes voir notre billet : http://actuchypre.blogspot.com/2011/09/actuchypre-revient.html)
Démenti de l'Etat-major turc : http://www.jpost.com/International/Article.aspx?id=240051




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dimanche 25 septembre 2011

La Turquie envoie sa marine de guerre à Chypre : intimidations et pillage d'état.





Un point complet sur la crise des hydrocarbures entre Chypre et la Turquie.



La Turquie a envoyé plusieurs frégates et patrouilleurs à Chypre, y compris au large des cotes du sud de l'île. Ce qui confirme notre précédent billet (http://actuchypre.blogspot.com/2011/09/la-turquie-menace-chypre.html).

Selon le journal turc Aksam (édition internet du 23 septembre 2011 http://www.aksam.com.tr/firkateynler-akdenize-acildi--68953h.html), trois frégates turques (Salih Reis, Sokullu Mehmet Pasa et Oncu) ont appareillé pour Chypre. Le journal turc annonce qu'une de ces frégates sera visible depuis le port chypriote de Paphos situé au Sud-Ouest de Chypre tandis que les deux autres patrouilleront dans la zone. Trois sous-marins se dirigeraient également vers Chypre. (une source en anglais : http://www.cyprus-mail.com/cyprus/turkish-oil-exploration-ship-sets-out-contest-cyprus-drill-rights/20110924)

Par ailleurs la Turquie s'est autorisée le 21 septembre 2011 à explorer les fonds chypriotes aussi bien au nord qu'au sud.

Elle a en effet signé un accord en ce sens... avec elle-même (plus précisément avec la "République turque ce Chyrpe nord", créée et reconnue par la Turquie dans la zone qu'elle occupe militairement à Chypre, peuplée en majorité des colons d'Anatolie installés là depuis 1974).(une source en français : http://www.lefigaro.fr/international/2011/09/22/01003-20110922ARTFIG00754-la-turquie-et-chypreengagent-la-guerre-du-gaz.php)

Autrement dit, un pillage d'état en règle.

Les Turcs ayant menacé d'envoyer leurs navires à 6 miles nautiques au sud de Paphos (Sud-ouest de l'île), le gouvernement chypriote a déployé des missiles anti-navires Exocet (source Defencenet Media).

La Turquie a également envoyé des avions de chasse F-16 dans la zone (source article du figaro sus-visé).

Chypre n'a pratiquement ni marine ni aviation et n'a donc pas les moyens de faire face à la marine turque. Elle ne peut compter que sur une hypothétique aide de la Grèce ou des Israéliens avec lesquels les liens de Chypre se sont récemment renforcés - pour permettre aux Chypriotes et à Israël d'exploiter de manière concertée les ressources se situant dans leurs zones économiques exclusives, qu'elles ont délimitées au grand damne des Turcs pour lesquels la République de Chypre n'existe pas.

Les Etats-Unis ont intérêt à ce que la République de Chypre ne soit pas inquiétée dans l'exploitation de ses ressources, puisque les forages ont été confiés à la société américaine Noble Energy. Cette société a déclaré qu'elle n'était pas effrayée par les intimidations turques (une source en anglais 'http://www.globes.co.il/serveen/globes/docview.asp?did=1000680741&fid=1725). L'intérêt des USA devrait réduire cette démonstration turque au simple rang de provocation.

Mais les USA d'Obama ne semblent pas prêts à mettre fin à la montée en puissance turque qui déséquilibre la région, puisqu'ils auraient autorisé la vente à la Turquie de drones predator (une source turque en anglais: http://www.worldbulletin.net/?aType=haber&ArticleID=79338)

La Turquie a par ailleurs engagé les services d'une société norvégienne de prospection dont deux navires sont déjà au large de Chypre. Elle a également dépêché un de ses navires, le Piri Reis.

La marine turque a également effectué des exercices au sud de Limassol, empêchant la circulation maritime du plus grand port de Chypre; des hélicoptères turcs se sont approchés de l'hélicoptère de la compagnie américaine Noble Energy et des F-16 turc ont gêné le décollage d'un avion civil de la compagnie Cyprus Airways qui s'envolait depuis l'aéroport de Larnaca (sources en anglais http://www.cyprus-mail.com/cyprus/turk-naval-exercises-real-danger-region/20110923, en grec http://www.kathimerini.com.cy/index.php?pageaction=kat&modid=1&artid=58904

L'Union européenne a appelé Ankara à la retenue mais pour l'instant, aucune riposte énergique de la part des grandsd dirigeants européens pour ne pas froisser la Turquie, partenaire commercial où nombre d'entreprises européennes ont délocalisé leur production.

"En ce qui concerne les forages pétroliers, nous avons, d'une manière générale, dit que nous appelions la Turquie à s'abstenir de toute sorte de menaces, ou sources de frictions, ou d'actions qui pourraient affecter de manière négative" ses liens avec Chypre, a déclaré un porte-parole du « chef de la diplomatie » européenne Catherine Ashton (source AFP).

La Turquie a menacé de dresser une « liste noire » des sociétés qui coopéreraient avec le gouvernement chypriote (qu'elle ne reconnaît pas) – source en anglais http://ekathimerini.com/4dcgi/_w_articles_wsite1_7_22/09/2011_407543.

Cela pourrait inquiéter des sociétés françaises comme Total qui se sont montrées intéressées par l'exploitation des hydrocarbures chypriotes (source en grec http://www.sigmalive.com/inbusiness/news/financials/419896).

C'est le plus grave incident à Chypre depuis 1996 (et le meurtre des Chypriotes grecs Tassos Isaak – photo ci-dessous - et Solomos Solomou en août 1996 par les "forces de sécurité" turques et des membres de l'organisation des "loups gris", sous les yeux impuissants de l'ONU).


Enfin le président communiste de Chypre Dimitris Christofias a annoncé qu'il ferait en sorte que l'exploitation des hydrocarbures profite aussi à la minorité chypriote turque. Le minorité chypriote turque ayant été démographiquement submergée par les colons de Turquie et la majorité de ses leaders ne reconnaissant pas la République de Chypre, cela représente une concession unilatérale et sans contrepartie de plus de la part de Dimitris Christofias.... (source en anglais http://www.cyprus-mail.com/cyprus/gas-spoils-be-shared-settlement/20110923)


(Nous n'indiquons pas toutes nos sources, uniquement les plus facilement accessibles pour un lecteur francophone ou anglophone)


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mercredi 7 septembre 2011

La Turquie menace Chypre.

















Le ministre turc des affaires européennes menace d'envoyer la flotte turque pour stopper les recherches de gaz et de pétrole de Chypre en Méditerranée, dans une interview au journal turc Zaman.

A noter que la Turquie ne reconnaît pas le droit de Chypre à posséder une zone économique exclusive car elle ne reconnaît pas l'existence légale de la République de Chypre, pourtant membre de l'union européenne.

Extraits :

Question

- "Greek Cyprus has declared that it will begin oil exploration in the Mediterranean on Oct. 1. Can you comment on this?"

- "Chypre grecque" * a déclaré qu'ils commenceront les recherches de pétrole en Métiterranée le 1er octobre. Pouvez-vous commenter cela? [*note de traduction : cette façon de désigner Chypre s'explique par le fait que les Turcs ne reconnaissent pas que le territoire chypriote appartient juridiquement dans sa totalité à la République de Chypre, ce qui reviendrait à reconnaître qu'ils occupent le nord; ils n'emploient donc jamais le terme "Chypre" seul]

Réponse :

- The kinds of things that have happened in the past [Turkish naval interference with exploration] whenever the Greek Cypriots have made such attempts may well happen again. That is how serious Turkey is. Doing this in waters where they have no jurisdiction is illegal. Turkey will rely on international law to pursue its rights to the fullest extent.

- Le genre de choses qui ont eu lieu dans le passé chaque fois que les Chypriotes grecs ont fait ce genre de tentatives se reproduira. La Turquie est aussi sérieuse que cela. Faire cela dans des eaux qui ne sont pas sous leur juridiction est illégal. La Turquie s'appuiera sur le droit international pour faire valoir ses droits à leur maximum.


Question :
- Will the navy send a fleet?
- La marine enverra-t-elle une flotte?

Réponse :
- This is what we have the navy for. We have trained our marines for this; we have equipped the navy for this. All options are on the table; anything can be done.
- c'est pour cela que nous avons notre parine. Nous avons entraîné nos marines pour cela; nous avons équipé notre marine pour cela. Toutes les options sont sur la table; tout est possible.

(à noter que le journal Zaman dans son édition en anglais a ajouté que le ministre menaçait d'envoyer la flotte si les Chypriotes grecs "entraient dans les eaux turques"; cet ajout a été fait pas le journal et n'existe pas dans la version turque de l'article ni dans l'interview même dans sa version anglaise: le ministre ne distingue donc pas selon le lieu où seront faites ces recherches et d'ailleurs les Chypriotes n'ont bien évidemment jamais eu l'intention de faire des recherches dans les eaux turques : les recherches doivent être faites par la société américaine Nobel Energy au Sud-est de Chypre, entre Chypre et Israël - en bas à droite sur la carte ci-dessus - donc bien loin de la Turquie, dans la zone économique exclusive de Chypre, que la Turquie ne reconnaît pas...)


Dans la même interview le ministre a confirmé que la Turquie gélera ses relations européennes pendant la présidence tournante chypriote de l'union. Il a également regretté le climat selon lui "islamophobe" qui prévaudrait en Europe.

http://www.todayszaman.com/news-255674-turkish-minister-warns-greek-cypriots-about-oil-exploration-in-mediterranean.html

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"Actuchypre" revient.


Depuis un an et demi le blog "actuchypre" n'était plus alimenté.

Au cours de cette très longue pause, nous avons pris un peu de recul.

Nous avons décidé d'insister sur le côté "revue de presse", que nous n'alimenterons qu'en cas d'évolution significative, dans le souci de toujours percevoir la forêt, plutôt que le doigt.

Mais d'abord, un long message pour répondre à la question qui s'impose : que dire de la situation à Chypre depuis notre dernière note sur ce blog?











Chacun a pu observer la politique des concessions sans contrepartie du gouvernement chypriote de Dimitris Christophias, qui n'a fait qu'encourager l'inflexibilité du négociateur turc.

Ce n'est pas vraiment nouveau, puisque c'était en réalité la politique permanente des gouvernements chypriotes, jusqu'à la parenthèse du rejet, par les électeurs chypriotes, du calamiteux plan Annan (que si peu de gens ont lu ou compris en Europe, nous ne le dirons jamais assez).












Ce qui est nouveau c'est que sur le plan politique, la Turquie a définitivement, semble-t-il, renoué avec son passé : les forces de la tradition et de la bourgeoisie de province ont confirmé qu'elles avaient pris le pouvoir au détriment des kémalistes, et que quelque chose avait vraiment changé en Turquie.

Les arrestations de nombreux généraux impliqués dans le plan de coup d'Etat contre le premier ministre Erdogan se sont multipliées. La constitution a été modifiée. Nous ne détaillerons pas ces points ici; avec Internet, chacun pourra les retrouver et la Turquie n'est pas le sujet principal de ce blog.

Mais force est de constater que la vraie Turquie, finalement, a renoué avec ses penchants naturels : le rapprochement avec les autres pays musulmans s'est confirmé. Conduisant à une brouille avec Israël.

La Turquie veut voguer vers son propre destin de super-puissance régionale, lorgnant à la fois vers le monde arabo-musulman, et vers l'Asie centrale. Il suffit de lire l'ouvrage du ministre turc des affaires étrangères, Davutoglu, pour comprendre que la Turquie veut renouer avec l'ambition ottomane et que les peuples voisins, ne seront pas autre chose que des puissances satellites s'ils ne prennent pas garde à créer plus d'équilibre dans la région.

Après tout, les hommes politiques turcs n'ont fait que leur travail : ils ont tout fait pour promouvoir l'intérêt de leur nation, alors que les élites de la Grèce et de Chypre, se sont laissées bercer d'illusions, croyant qu'elles pouvaient parvenir à un état de prospérité et de sécurité permanente uniquement grâce à leur appartenance à l'union européenne, rêvant de devenir des "sociétés multiculturelles" et autres obsessions que l'on a vu apparaître dans leur bouche comme s'il s'agissait d'une priorité.

Les élites grecques ont oublié que la politique n'était faite que de rapports de force, et que celui qui par fatalisme ou illusion renonce à combattre ou à défendre les intérêts de son peuple, est tout simplement ignoré ou écrasé. C'est d'autant plus vrai en Méditerranée orientale. La Grèce et Chypre ne se trouveront jamais au Benelux ni dans les Alpes...
















En contrepartie, on a vu Chypre et la Grèce se rapprocher davantage d'Israël (ou plutôt, Israël se rapprocher de la Grèce et de Chypre, palliant l'absence de vision des leaders grecs).

Plusieurs courants, en Israël et en Turquie, veulent renouer avec la vieille alliance israélo-turque. Mais les Israéliens ont compris qu'il existait au moins deux Turquie, de sorte que cette seule alliance n'était pas une garantie et qu'ils ne perdaient rien à diversifier leurs alliances (1).


Aux Grecs de le comprendre : Israël, au-delà de ses intérêts, combat pour sa survie même et agit en conséquence; Israël ne prendra au sérieux la Grèce que si les dirigeants grecs agissent de même.

La Grèce, Chypre et Israël, peuvent constituer un axe fort en Méditerranée orientale s'ils parviennent à surmonter la myopie géo-stratégique et les préjugiés forgés pas les siècles qui les avaient conduits à s'ignorer mutuellement. (2)

Indépendamment du problème turc ou de l'incertitude créée par les printemps arabes, cet axe pourra être une source d'équilibre pour la région, sur tous les plans, et une grande chance pour que l'union européenne se réveille de sa torpeur ou de son rôle de simple mécène, et jouer un rôle central au Proche-Orient.


Sur le plan économique, chacun peut observer la montée en puissance de la Turquie, 13ème économie mondiale; son industrie, grâce aux bas salaires et à la volonté de ses politiques, fournit de l'électroménager et des voitures bon marché pour les grandes marques européennes. Coopératives d'Etat, sociétés privées, sociétés du secteur civil contrôlées par le secteur militaire, aidées par les transferts de technologie et les délocalisations des entreprises occidentales ou les contrats de sous-traitance, toutes se développent et exportent.

La montée en puissance de l'industrie de défense turque se confirme : grâce au fonds de développement de l'industrie de la défense turque, qui dispose d'un budget séparé de celui de l'Etat (et perçoit même un pourcentage des spiritueux achetés par les touristes), la Turquie est devenue un grand exportateur d'armes et vise l'autarcie dans de nombreux domaines.

Jusqu'à présent les Chypriotes grecs considéraient, sans doute à tort que leur prospérité (d'ailleurs mise à mal par la crise) était un atout dans les négociations; aujourd'hui cet argument apparaît très secondaire; outre l'économie mafieuse de la partie occupée, la présence turque à Chypre peut compter sur la nouvelle puissance financière turque.

Quant à la Grèce, seule puissance à ne jamais contester la politique des gouvernements chypriotes successifs, sa faillite, les délocalisations vers la Bulgarie et la Roumanie, bref la ruine de son état et de son appareil productif, n'aideront pas; certes il y a la fraude que l'on présente comme la cause de tous les maux, mais la fraude n'empêchait pas la Grèce de promouvoir une politique industrielle d'exportation, ce qu'elle n'a presque jamais fait; la fraude existe aussi par exemple en Italie, mais Rome pourra toujours compter sur sa puissance industrielle pour sauver ce qui peut l'être; là encore les élites grecques ont fait les mauvais choix, organisant les jeux olympiques sans en avoir les moyens, entrant dans l'euro sans se poser la question du développement de leur industrie, basant tout sur les services, sur du vent... La crise économique et sociale aggrave la crise démographique : les jeunes Grecs fuient le pays à la recherche de travail à un rythme accéléré. Cette situation peut cependant donner aux Grecs la force du désespoir.


notes
___________________

1- Le virage turc n'est peut-être pas si étonnant : si l'on prend en compte la façon dont le monde arabo-musulman, vaste et diversifié, se rapproche de la Turquie et le rêve de celle-ci d'en devenir le leader et le ciment, la Turquie a peut-être moins besoin d'Israël; en tout cas, la Turquie a beaucoup moins besoin d'Israël qu'Israël n'a besoin d'alliés dans la région... Du point de vue industriel la Turquie est surtout gênée par les commandes en cours qu'elle a pu faire auprès d'Israel, par exemple, pour les drones Heron. Mais une fois le problème des commandes en cours réglé, la Turquie pourra se tourner vers de nouveaux partenaires : elle a même déjà commencé à diversifier ses partenariats dans le domaine de l'industrie militaire, avec la Corée du Sud notamment (développement du char Altay, et de l'automoteur Firtina).
Dans une alliance, Chypre mais aussi, en partie, la Grèce (pour ses îles) jouent la carte de leur survie ou de la protection de leur intégrité territoriale, comme Israël; pas la Turquie.


2- Pour ne prendre que deux exemples : d'un point de vue économique, les zones économiques exclusives de la Grèce, de Chypre et d'israël peuvent aller de l'Italie jusqu'au voisinage du canal de Suez sans discontinuité; d'un point de vue militaire, l'espace aérien grec et certaines îles comme la Crète, outre Chypre, peuvent présenter un grand intérêt, offrant de nouvelles bases à l'aviation israélienne, lui permettant une allonge stratégique potentielle jusqu'au Maghreb sans aucune difficulté (comme l'ont fait les forces de l'OTAN en Libye en 2011) outre la possibilité de s'entraîner dans un vaste espace aérien, avec des pilotes grecs reconnus pour leurs compétences. Israël est un Etat aux aguets contraint de parer à toute éventualité sur la longue durée dans un monde en changements. Quant à la situation de Chypre, elle est si fragile qu'Israël peut vite lui devenir indispensable, permettant aux Israéliens de lui demander des contreparties sans limites. De leur côté, Chypre et la Grèce pourraient profiter du savoir-faire israélien en matière militaire et technologique, et apprendre d'Israël en terme d'organisation - organisation de leur réserve ou de leur diaspora notamment.

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